Matinale

Article : Matinale
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6 juin 2016

Matinale

Mon bébé s’agite dans son berceau. Les premiers bruits m’arrivent. Le robinet qui s’ouvre, le moteur d’un minibus-taxi qui passe à toute vitesse dans la rue, une tondeuse au loin, les basses toni-vibrantes de la Polo qui s’approche puis s’éloigne, et le portail qui se traîne lourdement sur ses rails pour laisser passer le voisin.

Je n’avais fait que te croiser d’abord. Comment faire autrement : dans les quartiers où je te cherchais, tu te cachais derrières des murs surmontés de barbelés et de fils électrifiés, et arborant un dissuasif « Armed response » au cas où quelqu’un aurait voulu t’approcher.

J’entrouvre un œil au jour tout neuf. La lumière est forte déjà sur les toits de tôle des maisons copié-collé, au pied des terrils d’une terre vidée de son or. La chaleur s’installe dans notre chambre. Je repousse la couette.

Dans un jeu de cache-cache, tu t’amusais à me renvoyer ma propre image dans les façades miroitantes des buildings, les vitres teintées des grosses voitures, dans les vitrines clinquantes des malls. Tu disparaissais sous des sons d’ambiance et des odeurs climatisées.

La tête penchée sur les volutes de mon bol de café, j’entends distinctement les enfants de la crèche toute proche qui récitent en zoulou les poèmes du matin. Les voix en pyjama se saluent d’un côté de la rue à l’autre : « Sawubona! Kunjani? » et quand elles passent devant notre maison, elles nous lancent un joyeux : « Hello! How’z it? »

J’avais même essayé de t’apercevoir depuis les parkings, seuls endroits où le regard peut aller loin. Depuis ce gris, je pouvais voir les tâches blanches de tes immenses maisons. Mais je savais que ce n’était pas la couleur de ta peau.

On frappe, et la porte s’ouvre sur Baba Zulu, Kossi ou Christina qui font entrer des histoires dans notre maison et dans nos cœurs. Celles du passé : leur arrivée ici pendant l’apartheid, l’histoire de leurs parents. Celles d’aujourd’hui, qui sont dures car le Sida, la violence, l’alcoolisme et le chômage ont souvent le prénom de leurs enfants. Nous ne comprenons pas tout car tu parles onze langues mais, attentifs comme des enfants, nous t’écoutons.

Il y avait bien des chiffres ou les unes des magazines. Ces quelques bribes de toi étaient déformées et figées sur le papier glacé des beaux quartiers. Pour t’approcher dans ta diversité, il ne fallait pas rester au milieu de ceux auxquels je ressemblais. Il fallait sortir des chemins tracés par les lois, puis par l’habitude et l’argent. Il fallait changer de point de vue.

Tu marches dans notre rue et nous salues. Tu es devant notre porte. Je sors à ta rencontre.

C’est le matin à Soweto. Le matin, comme chaque matin, de ma première rencontre avec l’Afrique du Sud.

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Commentaires

Claire du Plessis
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Voici une première graine de semée.
recevoir les fruits de l'arbre poussé et faire des émules: c'est tout ce que l'on souhaite à ce jeune couple audacieux .
Bravo!