Mais pourquoi votent-ils pour l’ANC ?

Article : Mais pourquoi votent-ils pour l’ANC ?
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4 août 2016

Mais pourquoi votent-ils pour l’ANC ?

Depuis 1994, l’ANC (African National Congress) domine sans conteste la vie politique sud-africaine. Pourtant, les élections locales, dont les résultats définitifs sont en attente, semblent pouvoir ébranler cette suprématie : si, à l’échelle nationale, l’ANC serait toujours majoritaire, de grandes villes voient l’opposition (les partis DA et EFF) obtenir des scores inédits au détriment de l’ANC. Ma première réaction était de m’en réjouir car, dans mon esprit européen, parti hégémonique = démocratie en danger. Ajoutez « Afrique » dans l’énoncé, et Paf ! on a tôt fait de penser campagnes manipulées, trucage des élections, népotisme et tout le tralala. Alors je mets ces syllogismes en veilleuse, et j’essaie de comprendre.

La position hégémonique de l’ANC a de quoi surprendre quand, comme moi, on est arrivé depuis peu dans ce pays. Traînant des luttes internes, un bilan vraiment pas à la hauteur de ses promesses et de nombreux scandales de corruption, l’ANC ne fait pas franchement rêver. Pourtant, la majorité des électeurs vote ANC. Depuis 1994, et encore hier pour les élections locales.

Quand une voisine me disait amusée, il y a quelques jours : « Je ne sais même pas pour qui je vais voter mercredi ! » elle ne me disait pas qu’elle hésitait entre les candidats, non. Elle disait qu’elle n’avait pas regardé qui représentait l’ANC dans son secteur. Pour elle, comme pour beaucoup de mes voisins à Soweto, la question ne se pose même pas. Voter, c’est voter ANC.

Ce que j’ai compris d’abord, c’est qu’en Afrique du Sud, on vote pour un parti et non pour un candidat. Ainsi Thabo Mbeki, que les électeurs avaient porté à la présidence en 1999, à la suite de Mandela, et à nouveau en 2004, a dû démissionner en 2008 parce qu’il était désavoué par son parti. Dans leurs discours, mes voisins distinguent le parti des personnes qui y ont des responsabilités. Ils soutiennent le premier et dénoncent les agissements des seconds. Ils votent ANC et espèrent voir partir Jacob Zuma.

Mais surtout, on ne peut comprendre ce soutien à l’ANC qu’en prenant en compte l’Histoire. Ces dernières semaines, à l’approche des élections, nombreux étaient les hommes qui portaient des t-shirts de l’ANC, et les femmes qui nouaient sur leur tête des foulards noir vert et jaune. On ne peut se contenter de dire qu’ils sont distribués gratuitement : cela n’expliquerait pas la fierté. De 1960 à 1990, l’ANC était interdit, ses responsables emprisonnés à vie, à Robben Island. Ces hommes et ces femmes portent fièrement ces couleurs. Elles sont celles du parti qui leur a permis d’accéder à une pleine citoyenneté, qui leur a rendu leurs droits. Beaucoup d’autres ont lutté contre l’apartheid, mais l’ANC et ses membres – dont Mandela – ont joué un rôle prépondérant. Alors, même si les électeurs reconnaissent ses limites et ses troubles, ils soutiennent ce parti par loyauté. Ils lui font confiance pour améliorer leur situation économique, comme il a bouleversé leur situation politique il y a 22 ans.

C’est cette mémoire, aussi, qui faisait dire à ma propriétaire hier en revenant du bureau de vote : « Si je ne votais pas ANC, je serais encore obligée de vivre ici ». Je ne crois pas que cela soit vrai. Je ne pense pas qu’il y ait un vrai risque aujourd’hui que l’Afrique du Sud remette en place les lois de l’apartheid. Mais je n’ai pas vécu cette discrimination, alors que c’est le cas de la majorité des électeurs. Maria, une voisine, me disait aussi : « Même si ce n’est pas idéal, on sait à quoi s’attendre avec l’ANC. Je ne prendrai pas le risque de donner le pouvoir à d’autres. » D’autres, jusqu’à ces élections, c’était DA (Alliance Démocratique), un parti considéré comme le « parti des blancs ». Mais les élections qui se sont tenues hier ébranlent cet équilibre. Elles voient DA se défaire de cette image. Par ailleurs, elles marquent l’arrivée dans le paysage politique de l’EFF (Economic Freedom Fighters) de Julius Malema, qui vient concurrencer l’ANC auprès de l’électorat noir.

Ce n’est pas ma façon de voter. En France, je ne vote pas par loyauté à ce qu’un parti a fait par le passé. Mais en France, le passé n’est pas si proche. Cette crainte de revivre les heures de l’apartheid et cette loyauté au parti qui a permis l’égalité politique sont non seulement compréhensibles, mais profondément respectables. Pour ma part, je vote pour un programme : des promesses pour l’avenir. Et je suis déçue. Alors, je ne peux vraiment pas dire que ma façon de faire vivre mon droit de vote soit meilleure que la leur.

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Commentaires

KOFFI Luc
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Mais les déceptions de plus en plus grandes que vivent les populations et la mal-gouvernance de plus en plus décriées vont finir par éroder les bases de cette fidélité à l'ANC. Tout est une question de temps et surtout de capacité des dirigeants de l'ANC à se remettre en cause et à œuvrer dans le sens de réduire les disparités et d'améliorer les conditions de vie des populations noires, qui sont les plus défavorisées. Mais si la tendance actuelle et le chemin emprunté par les dirigeants de l'ANC se poursuit, il est fort à parier qu'assez tôt, ce parti va se retrouver dans l'opposition...

Serge
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En Angleterre aussi on vote pour un parti et non pour un candidat... en France aussi, et en Australie aussi, etc. En fait, dans toutes les démocraties aux systèmes politiques de partis plus ou moins solide, on vote par tradition pour un parti. Sinon, comment expliquer que Sarkozy soit constamment à la tête des Rep-UMP...