13 juillet 2016

Au revoir Ma Leisa

Aujourd’hui, la rue est barrée. Des dizaines de voitures stationnent tout le long, en amont et en aval d’une grande tente blanche. Les parfums d’un repas embaument le voisinage et la sono chante les tubes de la messe. Tous nos voisins, mais aussi des responsables de l’ANC, des hommes, des femmes et des enfants sont dans la rue. Les hommes sont en costard sobre, les femmes en robes noires et talons. Les couleurs de l’ANC, noir, jaune et vert s’affichent sur des t-shirts, ou dans les foulards noués sur les cheveux des femmes. Les vieilles femmes Sotho ont posé sur leurs épaules la couverture traditionnelle. Même Desmond Tutu était là. Aujourd’hui, j’ai une boule dans la gorge et dans le ventre. Ce sont les obsèques de Ma Leisa. Une grande dame.

Depuis notre installation dans le quartier, tous les voisins nous parlaient de cette vieille dame : « Koko » (« la grand-mère ») qui vivait à trois maisons de la nôtre. Un jour enfin, nous l’avons rencontrée. Elle nous a reçus chez elle, assise dans son lit : elle ne se levait plus guère. Elle nous a accueilli de son beau sourire, nous a proposé de nous assoir sur le bord du lit à côté d’elle, et nous a raconté quelques-unes des histoires de sa vie. On nous avait dit sa mémoire extraordinaire. On nous avait dit qu’elle avait caché des militants recherchés par la police pendant l’apartheid, qu’elle était une amie de Mandela et avait correspondu avec lui pendant des années.

Nous nous sommes assis sur son lit, et nous avons écouté cette dame. Cette ancienne infirmière, membre de l’ANC depuis 1942, nous a dit comment elle s’était battue pour ouvrir une crèche à Soweto pour que les femmes puissent y laisser leurs enfants et travailler. Elle nous a raconté aussi comment elle a obtenu la construction du pont au-dessus de la voie ferrée parce qu’il y avait trop d’accidents quand les piétons traversaient. Je regardais ses mains. De longues et belles mains dessinées par les ans. Des mains riches des caresses et des épines de toute une vie. Elle a pris notre bébé dans ses bras, l’a embrassé sur le front et l’a béni. Il avait 3 mois ; elle avait 102 ans.

Cette grande dame est décédée la semaine dernière. Ses obsèques ne sont pas tristes : tout le monde loue cette vie aussi longue que juste. Et chacun, en considérant sa vie à elle, regarde sa propre vie. Une jeune voisine me disait : « Je me demandais tout à l’heure ce que l’on dira de moi à mon enterrement. J’ai envie que les gens soient fiers et heureux de ce qu’ils diront, comme pour Ma Leisa. » Et en effet, beaucoup ce matin racontaient comment Ma Leisa les avait aidés pendant l’apartheid : en cachant leur mère, en recueillant l’enfant qu’ils étaient quand la police avait arrêté leurs parents…

Je suis émue et touchée par cette dame, par sa vie et son combat. C’est grâce à Ma Leisa et à tous ceux qui ne se sont pas contentés de l’injustice qu’aujourd’hui, dans ce pays, tous ont les mêmes droits. Il y a encore du chemin à parcourir pour que les Hommes aient vraiment les mêmes droits, mais Ma Leisa a ouvert ce chemin. A nous de le continuer.

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Commentaires

Ousmane
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Repose en paix!